De prime abord, en voyant un tel titre on est interpellé et forcément curieux de savoir ce que cet auteur a à nous raconter. S’agit-il d’une réactualisation de la connaissance sur cette époque lointaine, obscure, dont on peut admirer des vestiges architecturaux, picturaux dans toute l’Alsace, mais dont on ne sait pas en parler ? Peut-être s’agit-il d’une introduction décomplexée sur une époque où l’Alsace était allemande !
Dans le monde moderne d’aujourd’hui, il n’est plus question d’inventer des histoires où de formuler des légendes fumeuses. Le public veut du vrai, et il nous interrogera sans cesse jusqu’à ce qu’on lui apporte la vraie réponse. Alors, il ne sera plus nécessaire d’agiter un titre universitaire, un bon travail fait jadis, lorsque l’on avait encore la foi. Il faudra convaincre, se réinventer, se renouveler. C’est un travail laborieux, épuisant mais gratifiant avec le temps.
La période du Reichsland d’Alsace-Lorraine a longtemps été ignorée, bannie de l’histoire d’Alsace. Rares étaient les ouvrages et lorsqu’ils traitaient du sujet, cela se transformait en une diatribe contre cette histoire à la sauce Cocorico. Nous citerons qu’un exemple de ce genre : L’Alsace de 1900 à nos jours – éditions Privat 1979. Il est éloquent de voir qu’une histoire d’Alsace a été inventée pour plaire à la France, pour plaire à la conscience, mais surtout pour ne pas déranger.
Monsieur Gabriel Braeuner nous fait constater à juste titre l’augmentation des parutions en tout genre sur cette période depuis une dizaine d’années. Les auteurs viennent de tous les horizons, et traitent de différents sujets tels que : l’industrie, le commerce, l’artisanat, l’architecture, les sciences, la musique, la publicité, la littérature, le théâtre, l’enseignement, etc…
En fouillant l’histoire, de nombreux auteurs ont révélé une autre Alsace-Lorraine que celle des intellectuels et des historiens de l’après–guerre.
Ces nouvelles recherches bousculent et heurtent les préjugés d’autrefois. Elles nous montrent l’Alsace, plus humaine, plus réaliste et moins fataliste. L’Alsace était moderne, à la pointe dans plusieurs domaines et offrait une diversité étonnante. Cela n’a rien à voir avec les caricatures qui ont été produites par des illustrateurs comme Hansi ou Zislin. Face à cette somme, les anciens ouvrages ne résistent pas et serviront probablement bien mieux à caler un bon meuble bringuebalant.
En effet, les descendants, les alsaciens, les nouveaux venus sont interrogatifs de cette époque. Partout en Alsace nous pouvons voir cette histoire, chez les libraires, les antiquaires, dans les lieux publics. On retrouve des objets de famille, et on rencontre un passé qui est mal compris. Cette histoire fascine les habitants de l’Alsace d’aujourd’hui, non pas par nostalgie du régime politique, mais par curiosité, par une volonté d’apprendre et de comprendre. On se tromperait en croyant que ces gens s’intéressent aux grandes batailles, aux luttes politiciennes, aux figures prestigieuses alsaciennes présélectionnées. Non - Les gens s’intéressent à la vie du quotidien, à la vie de l’ouvrier, à la mutation de la ville. On se préoccupe de savoir ce que pensaient les artistes et comment ils vivaient en ce temps. On veut connaître la vie du soldat dans la caserne. On veut savoir quels étaient les loisirs en ce temps-là. En soulevant l’ensemble, on trouve évidemment une Alsace bien différente, qui connaissait une croissance économique spectaculaire, au cœur de l’Europe. Les historiens avaient longtemps négligés cet aspect des choses. L’Alsace était habillée d’un costume trop large ou pas assez long ou comme on voudra.
Malheureusement, les recherches sur cette époque sont arrivées très tard ! De nombreuses traces ont été depuis longtemps effacées ou dispersées. De plus, la diminution de la connaissance de la langue allemande a rendu la tâche encore plus difficile.
Certes, nous progressons dans le sens de la vérité historique, mais le chemin est laborieux et long. Certains textes, certains ouvrages demeurent faibles dans le fond. A quelques années d’intervalle, on retrouve les mêmes textes, les mêmes idées. On tourne parfois en rond.
Nous citons en exemple les recherches sur l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg. Il est évident que cette école représente un grand intérêt pour la connaissance artistique régionale. Un premier mémoire d’étude avait été réalisé dans les années 90. Le travail de fond est resté tout-à-fait primaire. Depuis, de nombreux historiens citent la source et n’apportent rien sur la connaissance de l’école. On ne connaît pas le parcours de certains professeurs comme Auguste Cammissar, Georg Daubner, Alfred Marzolff. Et les professeurs allemands sont ignorés. On ne parle pas des professeurs Trunk, Leitschuh, Gadomski ou certains élèves qui ont fréquenté l’établissement avant 1918. On ne parle presque pas de la revue Kunstgewerbe in Elsass-Lothringen produite par l’école. En tout cas, on n’arrive pas à en dresser son contenu et à le replacer dans l’histoire de l’art. On ne connaît pas les productions des élèves. D’ailleurs aucune collection publique n’existe pour appuyer les recherches. On ne sait pas comment classer l’enseignement de cette école, ni réellement déterminer l’impact strasbourgeois, régional, national de cet enseignement. Personne n’a traduit les très nombreux écrits d’Anton Seder à la municipalité de Strasbourg, disponibles aux archives de la ville. Et on aime aussi à citer le manque d’efficacité de l’enseignement de l’école comme conclusion ! On s’appuie sur les critiques formulées par l’artiste Emile Schneider, francophile, qui convoitait le poste de direction de l’école après 1918. Peut-on penser aujourd’hui que cet artiste a été d’une parfaite objectivité ? Vraisemblablement pas ! On doit donc se contenter des propos de nos historiens patentés et attendre un jour une véritable recherche de fond sur l’école, qui sera très lourde à réaliser. Nous gageons qu’une fois ce travail fait, nous pourrons vraiment parler de cet établissement. Pour notre part, nous préférons nous réserver tant qu’une belle étude n’a pas été produite.
L’ouvrage de Monsieur Gabriel Braeuner ne fait pas exception dans ce paysage. Et cet ouvrage va encore plus loin, car il propose des conclusions hâtives, reposants sur des connaissances faibles. Il est un catalogue approximatif de la culture de l’époque du Reichsland. L’auteur compile les différents aspects de la culture : architecture, enseignement, littérature, art, musique, théâtre, fête populaire, etc.
L’ouvrage a été très rapidement réalisé, grâce à quelques sujets déjà traités par l’auteur sur son blog. Il s’agit donc d’une compilation malhabile où étrangement Albert Schweitzer occupe une place de choix, alors que durant cette époque, il n’était encore qu’un inconnu ! Ce dernier n’est pas une figure à proprement parler du Reichsland d’Alsace-Lorraine, car son heure est arrivée bien plus tard.
L’auteur n’est pas spécialement connu pour son travail sur la période du Reichsland d’Alsace-Lorraine, et encore moins sur la culture. Notre étonnement va tout d’abord au fait que l’auteur nous renseigne sur toutes les disciplines culturelles. Nous sommes surpris par tant d’érudition. L’auteur nous guide avec des formules à l’emporte-pièce. Le catalogue se révèle être une succession de synthèses, à laquelle l’auteur propose un bilan fatalement négatif, voir insignifiant. On se demande alors à quoi bon écrire sur une telle époque ? Monsieur Braeuner a sans doute voulu apporter sa propre contribution, qui restera un coup d’épée dans l’eau.
Nous nous attachons à formuler une critique sur l’aspect des beaux-arts, domaine que nous connaissons bien mieux que l’auteur. Sous le chapitre « artistes alsaciens : un double héritage », nous parcourons un texte semé d’erreurs.
Nous en dressons le catalogue suivant :
A la page 78, Gustave Stoskopf a étrangement trouvé sa palette à Munich, alors qu’à ses débuts, il est profondément marqué par l’impressionnisme français, et par le peintre Léon Hornecker pour les portraits.
A nouveau dans cette même page, nous apprenons avec surprise que la palette de Léon Hornecker se serait subitement éclaircie après 1908 au moment où l’artiste s’installe à Paris. Nous connaissons très bien cet artiste, affirmer de tels propos sur ce peintre nous démontre réellement que Monsieur Braeuner ne connaît pas les peintres de cette époque et surtout Léon Hornecker. Sa palette a connu une toute autre destiné qu’un éclaircissement !
La page 77, contient des propos sur Emile Schneider, peintre alsacien, profondément francophile, qui aurait peint dans la veine de l’école de Munich ! C’est un comble lui qui a peint dans l’esprit de la peinture française.
A la page 79, l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg serait créée en 1894, alors qu’elle est créée en 1892.
A la page 80, le peintre Henri Ebel, se prénomme « le père Ehret ». Pour le novice, cela est une tromperie.
A la page 81, Hans Mathis, élève de Seebach se prénomme Henri Mathis. Monsieur Braeuner aurait sans doute aimé voir Henri Matisse dans l’école alsacienne de peinture ?!
Dans cette même page, nous apprenons que plusieurs artistes « feront carrière après 1918 » !! Encore un étonnement lorsque l’on cite des artistes comme Léon Hornecker qui est très malade, sur le déclin et qui décède en janvier 1924. D’après un récent ouvrage, que cite l’auteur, un autre artiste Paul Braunagel a cessé d’exercer une activité artistique depuis 1914 ! Et René Beeh a été fauché par la grippe espagnole le 23 janvier 1922… Parler de carrière après 1918 pour ces artistes est une grossière erreur.
A la page 86, l’Association des artistes strasbourgeois aurait été créée en 1897, alors qu’elle a été créée en duo avec la Maison d’art alsacienne en 1905.
Etc, etc, etc,…
Plus que la forme, nous discutons le fond de cet ouvrage. Une rapide lecture sur quelques pages nous montre que la question de la peinture alsacienne n’est pas à la portée de Monsieur Braeuner. L’auteur nous offre une connaissance d’amateur.
L’auteur nous offre des bilans qui tiennent davantage de l’opinion que de la connaissance scientifique. Le lecteur peut lire que la peinture en Alsace était influencée par une double culture, repliée sur elle-même, ayant eu des tentatives modernistes mais n’ayant jamais pu imposer une avant-garde. L’avant-garde est selon l’auteur un critère essentiel pour déterminer si tel art est ou non un grand art. Nous sommes évidemment loin de partager ses conclusions. Ce sujet mériterait davantage de recherches pour pouvoir prononcer des conclusions définitives, car il y a beaucoup de travail à faire avant.
La grille de lecture de cet ouvrage repose sur le modernisme, l’avant-garde, la grande histoire, une vision européiste. Chapitre après chapitre, l’auteur tente de dresser un bilan à travers cette grille de lecture et conclu toujours pas l’échec de la culture en Alsace.
Nous pensons au contraire que de classer l’histoire selon des idéaux, des opinions ou le progrès est très réducteur. L’histoire de l’humanité ne peut pas se reposer sur ces critères étroits. Quelle vision auront les historiens dans trente, cinquante ou cent ans ? Es-ce qu’ils liront l’histoire comme nous ? Certainement pas, d’ici là, d’autres problèmes et d’autres idées seront apparus et notre vision moderniste sera peut-être totalement désuète. Nous pensons qu’il faut honnêtement tenter de restituer cette histoire, nous qui sommes encore proche de ce temps. Conservons le maximum d’informations, conservons les vestiges du passé. L’historien doit laisser le maximum de liberté à son lecteur, il peut le guider mais au de-là c’est de la politique ou de la propagande, mais certainement plus de l’histoire.
Le Reichsland d’Alsace-Lorraine reste encore à être étudié. L’aspect allemand de cette histoire est minoré de nos jours et on met trop souvent en avant une vision francophile et alsacienne. Cela nous empêche de saisir pleinement les traces du passé. Les auteurs se trahissent souvent, lorsqu’ils sont confrontés à l’aspect germanique de la culture alsacienne de ce temps. Quelques vagues incursions ont été faites ces dernières années, mais elles restent insuffisantes. Il faudra bien un jour s’attacher à rendre lisible cette histoire, sans quoi nous demeurerons toujours à côté des choses concernant l’Alsace.
Qu’en-est-il de l’art alsacien ou de sa culture sous le Reichsland ? Quelles sont les principales causes de ce foyer culturel ? Il faut tout simplement regarder toute l’histoire de ce pays. La peinture alsacienne a connu un essor particulier de 1800 jusque dans les années 1950-60. La période culturelle du Reichsland n’a été qu’une étape non-négligeable.
La culture alsacienne s’est composée couche après couche de l’apport de différentes courants, de différentes influences. Nous sommes qu’au début de la compréhension de cet art. Nous souhaitons d’autres initiatives dans la recherche avant de pouvoir se prononcer sur une histoire longtemps restée tabou.
Pour conclure nos propos, nous vous indiquons quelques excellents ouvrages comme véritable introduction sur la culture du Reichsland d’Alsace-Lorraine :
L’Alsace pittoresque, l’invention d’un paysage 1770-1870 – Collectif - éditions Hazan Paris 2011
David Ortlieb, 1797-1875, un artiste alsacien en son époque – André Klein - éditions AREHC – vol. I & II
Strasbourg romantique, au siècle des peintres et des écrivains voyageurs – Collectif - éditions La nuée bleue – 2010
1870 De la guerre à la paix Strasbourg – Belfort – Collectif - éditions Hermann - 2013
Strasbourg 1900, naissance d’une capitale – Collectif - éditions d’art Somogy – 2000
Strasbourg grande île et Neustadt, patrimoine urbain – Collectif - éditions Lieux dits - 2013
Le monde fraternel d’Albert et d’Adolphe Matthis – François Pétry - éditions BNU Strasbourg 2006
Quand j’étais gosse et autres histoires alsaciennes – Gustave Stoskopf - éditions Arfuyen - 2009
Histoire des musées de Strasbourg - Bernadette Schnitzler – éditions Musées de la ville de Strasbourg - 2009
Au service de l’Alsace, lettres d’Hugo Haug à Henri Albert – A.D Meyer - Publications société savante d’Alsace - 2010
Spindler – Un siècle d’art en Alsace – Michel Loetscher, Jean-Charles Spindler - éditions La nuée bleue - 2005
Les travaux et les jours, Lothar von Seebach peintre de l’Alsace 1900 – Brigitte Wilke – éditions La nuée bleue - 2003
Charles Spindler, L’âge d’or d’un artiste en Alsace, mémoires inédits 1889-1914 – éditions Place Stanislas - 2009
L’Alsace pendant la guerre 1914-1918 Charles Spindler - éditions Place Stanislas - 2008
P.S : Nous signalons une erreur aux pages 193-194. L’auteur tente de nous faire un parallèle de la fête nationale allemande de l’époque wilhelmienne avec celle du Seconde Empire. Certes, l’exemple est judicieux, mais la fête nationale de l’Empire était le 15 août, date d’anniversaire de Napoléon Ier : la Saint-Napoléon ! Elle n’est pas la date d’anniversaire de Napoléon III qui était né le 20 avril … Des approximations toujours des approximations (pages 193-194).
Informations technique de l'ouvrage :
Titre : L'Alsace au temps du Reichsland 1871-1918 : un âge d'or culturel ?
Auteur ; Gabriel BRAEUNER
Format : 16x24cm
250 pages
Editions du Belvédère.
Parution : 06 Novembre 2013
ISBN : 978-2884-19278-1
Prix : 22,00 €