Ce rare buste en bronze patiné intitulé Perversité ou Le Demi-Monde, œuvre de Ringel d’Illzach (Jean-Désiré Ringel, 1849–1918), constitue l’une des créations les plus emblématiques et troublantes du sculpteur alsacien. Réalisé à l’origine en 1877, le modèle est d’abord conçu en cire et carton bouilli peints, dans une recherche d’expérimentation matérielle et chromatique typique de l’artiste, alors fasciné par la dimension expressive et sensuelle de la matière.
Le Musée des Arts décoratifs de Paris conserve aujourd’hui ce premier modèle sous le numéro d’inventaire 2015.93.1, ainsi qu’une version ultérieure en cire et grès Émile Muller, révélatrice du dialogue fécond entre sculpture et arts décoratifs dans la production de Ringel d’Illzach. Parallèlement, le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) préserve un plâtre (Inv. 55.974.0.913) et un marbre (Inv. 55.974.0.1050) du même sujet, attestant la postérité de cette figure dans l’œuvre de l’artiste.
Cette version en bronze patiné brun profond, d’une rareté exceptionnelle, magnifie le modelé souple et nerveux du visage féminin. Le buste, légèrement incliné, traduit une ambivalence saisissante entre douceur et calcul, sensualité et détachement. Le regard, mi-clos et distant, la bouche finement dessinée, et la chevelure abondante rehaussée de perles stylisées confèrent à ce visage une séduction ambiguë, emblématique du fétichisme décadent de la fin du XIXᵉ siècle.
La pâte sensuelle du modelé, la fluidité des transitions entre chair et chevelure, ainsi que l’animation de la surface bronze par une patine chaude et lustrée, témoignent du raffinement technique de Ringel d’Illzach, artiste érudit et proche des milieux symbolistes et naturalistes. Le col du vêtement, traité en larges empâtements et stries vigoureuses, oppose à la perfection lisse du visage une expressivité matiériste qui annonce la liberté plastique de la sculpture moderniste.
À travers Perversité / Le Demi-Monde, Ringel d’Illzach donne forme à une figure féminine ambivalente — à la fois muse et tentatrice — qui incarne la fascination et l’inquiétude de la société fin-de-siècle face au pouvoir de la femme et à la sensualité. L’artiste y déploie toute la complexité de sa vision psychologique, conférant à son œuvre une dimension symbolique et morale, à mi-chemin entre l’étude de caractère, le portrait d’imagination et l’allégorie de la séduction perverse.
Ce bronze, par sa rareté, sa qualité d’exécution et son état de conservation remarquable, s’impose aujourd’hui comme un jalon majeur dans la redécouverte de Ringel d’Illzach — un sculpteur visionnaire, singulier dans le panorama de la sculpture française de la Troisième République, et dont l’œuvre oscille constamment entre réalisme charnel et introspection symboliste.
Informations:
Signé sur la base "Ringel d'Illzach"
Très bon état de conservation.
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