Spindler

Provenance :
- collection privée, Bas-Rhin

Cette très grande marqueterie de Paul Spindler illustre avec une maîtrise exceptionnelle l’un des thèmes les plus emblématiques de la culture populaire alsacienne : la chanson de Hans im Schnockeloch, figure mythique de la sagesse ironique et de la résignation joyeuse. Ce sujet, tiré du folklore régional, incarne la philosophie du bon sens paysan alsacien — celle d’un homme qui désire ce qu’il n’a pas et n’apprécie que ce qu’il ne peut atteindre — et fut immortalisé par la littérature dialectale comme par la chanson.

L’artiste choisit ici une mise en scène narrative d’une grande lisibilité : au premier plan, sous l’ombre protectrice d’un grand arbre, Hans, affalé sur une chaise, symbolise la mélancolie douce-amère du personnage, tandis qu’à l’arrière-plan se déroule une procession joyeuse de jeunes femmes en costume alsacien portant plats et boissons. La composition oppose ainsi le statisme rêveur de Hans à l’animation festive du cortège féminin, traduisant avec humour la dualité entre désir et inaction, l’essence même du mythe.

La virtuosité technique de Paul Spindler se manifeste dans le traitement pictural du bois, où chaque essence — noyer, érable, platane, sycomore, acajou ou citronnier — devient une couleur, une texture et une lumière. Le feuillage dense du grand arbre, la robe satinée des costumes, les jeux d’ombre sur le sol témoignent d’un savoir-faire poussé à son apogée. Par l’usage savant des veinures naturelles, l’artiste parvient à restituer le modelé des formes et la profondeur des espaces sans recours à la peinture, dans une palette exclusivement boisée.

Réalisée vraisemblablement dans les années 1930, cette œuvre appartient à la période de maturité de Paul Spindler, au moment où il renouvelle la tradition de la marqueterie narrative initiée par son père Charles Spindler tout en la portant vers une épuration formelle et un naturalisme mesuré. Le traitement des figures, aux silhouettes stylisées mais expressives, traduit l’influence conjuguée de l’Art déco et du réalisme symbolique, où l’observation ethnographique se double d’une vision poétique du monde rural.

Plus qu’une simple scène de genre, cette marqueterie s’affirme comme une icône de l’identité alsacienne, entre humour, humanité et mélancolie. Par la précision de sa composition, la chaleur de sa matière et la richesse de ses références, elle incarne le chef-d’œuvre du marqueteur humaniste, capable de transformer un thème populaire en une méditation universelle sur le bonheur, le désir et le temps.





La chanson "D'r Hans im Schnockeloch" en lien.