« Hammer, sickles and stripes »
L’illustrateur Tomi Ungerer livre à travers cette aquarelle une savoureuse illustration, mêlant histoire, satire et politique. Un mélange qui scie à merveille à ce mordant illustrateur alsacien, qui a passé sa vie, à l’aide de crayon et de pinceau, à détricoter, à chambouler et àn réinventer un univers martelé par son esprit sarcastique.
Tomi Ungerer c’est un esprit caustique, un regard percutant et un dessin agressif. Il aimait à se décrire comme un « Esprit frappeur » !
Et cette illustration aussi simple qu’elle est, porte en elle une charge symbolique si chère à l’artiste. Aimant à faire des calambours, des pirouettes humoristiques, l’artiste démontait avec délectation les bonnes consciences et les gens trop sûrs d’eux.
… Songeons à ce Drapeau, aux citoyens étatsuniens scander à l’unisson, avec fierté et candeur « USA, USA, USA ».
…Pensons à la grande histoire de l’US Army qui a plantée de nombreuses fois ce drapeau : 1861 à Charleston Harbour, 1945 à Iwo Jima ou encore en 1969 sur la Lune par Neil Amstrong.
…Rappelons-nous de nos jouets d’enfant, dans lesquels il y avait les incontournables GI’s en plastique ou en plomb, dans lequel il y avait le toujours le porte-drapeau.
Ce drapeau, communément appelé le « Stars and stripes » par les citoyens étatsuniens est le porteur de toute une symbolique dans le pays et à l’étranger. Il flotte au vent sur un haut gratte-ciel en ruine, entouré de décombres et de gravats. La luminosité de drapeau est en total contraste dans un décor désolant.
Nous pourrions penser que l’artiste s’aventure dans l’absurde, dans une réinterprétation du drapeau étatsunien. Or, le drapeau étatsunien a été modifié vingt-six dans son histoire. Et encore très récemment, une nouvelle version a été proposée. On peut dire que l’artiste est dans le vrai. Les évolutions du drapeau ont été marquées par les changements majeurs du pays.
Mais pourquoi passer des étoiles blanches au marteau et à la faucille, symboles du communisme au court du 20ème siècle. C’est le mariage politique de l’impossible, celui du capitalisme et du communisme réuni dans un seul drapeau !
Par ce tout petit détail, par ce trou de serrure, Tomi Ungerer nous emporte dans le tourment de l’imagination et des réflexions. Mais quel message veut-il porter ?
Annonce-t-il une ruine de l’hyper puissance des Etats-Unis ? S’agit-il de l’un de ses fantasmes, lui qui avait gardé à la fois une admiration et une rancœur pour une Amérique qui lui avait reproché une trop grande liberté de ton ? Avait-il compris avant tout le monde que les clivages aux Etats-unis amèneront un jour le pays dans une impasse ?
Sans doute, il y a une peu de tout cela dans l’esprit de Tomi Ungerer. Il connaissait très bien l’histoire. Il savait que chaque Empire connait une naissance, une apogée et une fin. C’est un cycle inéluctable.
Plus personnellement, Tomi Ungerer s’était mesuré à la super puissance. Les autorités gouvernementales n’appréciaient pas toujours son ton anti-guerre du Vietnam. Son sarcasme de High Society froissait ses protecteurs. Son art d’alors ne faisait pas reluire l’image pays.
Au début des années 70, les Etats-Unis traversait une période de crise profonde de la société en général. L’image du pays s’était dégradée dans la jeunesse du pays mais aussi à l’étranger. La guerre du Vietnam était interminable. La crise économique et les chocs pétroliers finissaient par faire plonger le rêve américain dans un cauchemar.
Tomi Ungerer disait avoir subi les affres de la censure et les poursuites des autorités. Peut-on dire qu’il a croupi dans une geôle moisie au fin fond du Texas ? Non, mais il a connu le bannissement, la limite de liberté d’expression. Son ascension dans l’American way of life s’est arrêtée d’une manière simple et froide. Des Amériques, Tomi Ungerer rapportant une expérience considérable, mais aussi une image sans concession, nourrie par une grande désillusion, celle d’un artiste à la recherche de la liberté.
Il savait que les Etats-unis n’était pas l’absolu, car à l’ombre de la statue de la Liberté se cache une société clivée. Il a très souvent parlé de ce problème dans les interviews, mais il a aussi dessiné dans ses illustrations son expérience.
En effet, le colosse Etat-continent a connu des périodes sombres. Faisons appel à nouveau à l’histoire. La guerre de sécession (1861-1865) avait plongé dans le pays dans une guerre civile entre yankees et sudistes, dans un combat idéologique qui aboutissait à une guerre impitoyable. Encore aujourd’hui les fissures de cette guerre sont des failles de la société étatsunienne.
La crise économique de la grande dépression a éclaté le 24 octobre 1929. Les Etats-unis ont été frappé durant une décennie entière par une décroissance économique. Elle est encore de nos jours une faille du pays. Cette même fissure fracture le pays dans un fossé immense entre les riches et les pauvres. Un fossé qui est toujours là. La fragilité de la société américaine perdure encore à ce jour et régulièrement le monde est frappé par les crises économiques en provenance des Etats-Unis.
Enfin, il faut évoquer un sujet contemporain de Tomi Ungerer. Il s’agit de la déconfiture de l’aventure de la Guerre du Vietnam des années 1960. C’est l’une de très nombreuses expéditions militaires américaines qui a débouché sur une mutation profonde du pays. Cette guerre plongeait le pays dans un bourbier militaire, qui ruinait son économie, son honorabilité et ouvrait une période de bouleversement des mœurs. Encore de nos jours, les failles ouvertes de cette époque troublée ne se sont jamais refermées.
Les Etats-unis sont dits le pays des possibles. Les contrastes sont immenses à la taille du pays et les crises le sont tout autant. Tomi Ungerer envisageait-il le triomphe du communisme de l’URSS ou la Chine de Mao aux Etats-Unis ? Ce n’est probablement pas le cas. C’est plutôt la révolution de la propre société étatsunienne qu’il évoque. Cette révolte latente dans les quatre coins du pays, où la violence couve et surgit brutalement. C’est le triomphe de la jeunesse au festival de Woodstock, de ceux de la march on Washington for jobs and freedom. Les affrontements des militants démocrates et républicains, lors de la dernière élection présidentielle, sont une autre illustration de cet état de révolte permanent. Tomi Ungerer envisage moins la destruction des Etats-Unis mais bien plus celui du capitalisme carnassier, supplanté par un socialisme de classe qui triompherait du capitalisme mais qui du même coup tuerait inévitable l’American way of life. C’est tout le paradoxe de cette illustration. Tuer le capitalisme c’est tuer l’Amérique. Tout le sarcasme de l’illustrateur est ainsi résumé qui décelait le funeste destin du matérialisme et du consumérisme des Etats-Unis qui fondent à nos yeux d’européens les Etats-Unis d’Amérique, pour le pire et le meilleur.